La Péniche du Coeur : Une péniche qui reste à quai

[Reportage réalisé dans le cadre de la Chance aux Concours]

Capture Google Street View


Depuis 1995, la Péniche du Cœur, créée par les Restos du Cœur et la Mie de Pain, accueille des sans-abri en situation d'urgence. Si elle permet à ceux-ci d'avoir un lieu de vie, certains parmi eux font tout pour en sortir.


« Moi, j'adore courir ! » « Eh bah moi j'aime pas du tout ! » Des coureurs passent le long de la Seine. A quai, en face du jardin Tino Rossi, une péniche blanche. Ses fenêtres sont toutes allumées. Devant, quelques personnes emmitouflées dans leurs bonnets et gants ricanent en observant un canard qui tente de flotter sur des planches. Des brumes s'échappent de leurs bouches : on ne sait pas si elles sont dues au froid ou à la fumée de leurs cigarettes.


« Renouer avec le contact social »

Ce soir, à la Péniche des Restos du Cœur, les bénévoles sont nombreux et peuvent se relayer. « On héberge environ une quarantaine de personnes. Tout le monde n'est pas encore là, certains peuvent arriver jusqu'à 22 heures. » explique Fabrice, bénévole depuis plus d'un an. Les « certains », ce sont les sans-abri qui sont hébergés au sein de la Péniche du Cœur. Ces « habitants » déambulent entre les couloirs aux murs jaunes. Les portraits des artistes des Enfoirés, façon studio Harcourt, sont suspendus près de l'entrée. Chaque cabine (il y en a 56 en tout) est composée de quatre lits superposés. « On ne loge que deux personnes, les deux autres lits sont à disposition du 115. » Chaque lit est appuyé sur un casier à cadenas. « C'est important, ils ont besoin de leur espace. »

A cette heure-ci, les bénévoles distribuent les repas dans une ambiance bonne enfant. La cuisine fait résonner les sons des ustensiles. Une des bénévoles entonne une chanson de La Reine des Neiges, en duo avec l'une de ses collègues. « Normalement ils devraient être deux par poste, mais ce soir ça tourne un peu plus ! », avoue Fabrice en souriant. La cuisine compte déjà cinq bénévoles, pour réchauffer, distribuer et nettoyer les plats préparés en journée par un cuisinier salarié. Dans la salle commune, les hébergés se concentrent sur la télévision : le cinquième volet de la saga Star Wars est au programme. L'un d'entre eux est assis à table devant des jetons de poker, les yeux cherchant des camarades de jeu. 


« Héberger des gens ici, c'est leur permettre de renouer un peu avec le contact social », affirme le bénévole. Fabrice est encore dans son habit de travail : un pantalon de costume et une chemise mauve. Il consacre tous ses mardis soirs au bénévolat, en faisant la route de Vélizy jusque dans le 5ème arrondissement. « Si je suis bénévole ici, c'est parce que c'est en accord avec mes convictions. On travaille tous en équipe à l'unisson. » L'équipe, ce sont les bénévoles, mais aussi les éducateurs sociaux ou encore les médecins qui encadrent et suivent les sans-abri au quotidien. Au total, 150 bénévoles vont et viennent, après presque 20 ans d'existence. « Cette péniche, c'est une zone de réinsertion, on a des règles et des horaires stricts, on leur [les hébergés] permet une vie plus cadrée et plus organisée. Certains ont du mal à s'adapter, d'autres ont plus d'autonomie, c'est pour ça que les durées de séjour varient. Certains peuvent rester une nuit, d'autres quelques jours, quelques mois, jusqu'à plusieurs années. »
« Une espèce de stabilité »

Hamid, chauffeur de taxi âgé de 43 ans, est là depuis plus d'un an. « Un an et cinq mois », précise-t-il. Son histoire, il l'a déjà racontée à Mediapart ou encore au micro de RTL : « Moi les journalistes, j'ai l'habitude. » Il porte un bonnet et une écharpe à rayures, et insiste pour augmenter le chauffage. « Ce qui m'a amené ici ? Un divorce, le décès d'un être cher, puis le jeu. J'étais addict au jeu. Le repli sur soi-même. On va dire que je me suis entêté à rester célibataire. » 

En racontant son histoire, ses yeux se baissent, pour la énième fois, sur l'écran de son téléphone Bic en main, un écouteur vissé dans l'oreille droite. Quand il réfléchit à ce que l'hébergement dans la péniche lui apporte, il hésite. « Je sais pas. Une espèce de stabilité. J'étais en panique. Les premiers mois c'était sympa. On travaille ensemble pour commencer à récupérer les documents. » Les documents nécessaires au renouvellement de sa carte de séjour. « En fait, je suis un cas spécial. J'ai une licence de chauffeur de taxi mais je suis considéré comme un sans-papiers. Il m'a fallu un an pour déposer mon dossier. Ça me fait péter un câble. A chaque fois, il manque un nouveau papier qui n'était pas dans la liste. J'ai consulté des travailleurs sociaux, des cabinets juridiques, et à la préfecture on me dit ‟il manque un papier”. Ils m'ont donné trois mois. » Ses contrats d'hébergement se sont renouvelés sans cesse, ce qui explique la longue durée de son séjour. 

Hamid est un « cas spécial » aussi parce qu'il entretient une bonne relation avec les bénévoles. « Y a que quand ils sont là que je me sens bien. Je profite des bénévoles pour avoir un pied dehors et un pied ici. Avec les autres hébergés, on parle pas le même langage. » Son plus grand désir, c'est de partir. « Plus jamais ça. Je me suis promis d'avoir une situation financière confortable. » 
Il garde quand même une opinion positive de son séjour :« Je suis content d'être là quand même. Je me suis découvert, j'ai appris que je pouvais chanter et dessiner. J'aime beaucoup dessiner. » Quand il parle des sorties culturelles, il sourit. « J'adore. Je suis toujours le premier inscrit. On va bientôt aller voir Mistinguett. » Ce qui marque chez Hamid, c'est sa détermination. Quand on lui demande s'il est optimiste, il répond « Bien sûr. Optimiste et réaliste. Je sais ce que je veux. »