"Grandir en province" ailleurs qu'à Poitiers

Une bonne copine a récemment déploré le manque de fond de cet article, qui parle de la "vraie" vie de provincial. Dans la même perspective absolument pas journalistique et purement inductive, j'ai voulu moi aussi montrer ce qu'est la vie hors de Paris. Celle-là, c'est la vie à la campagne, la vraie, au milieu des prés et des vaches, garantie 0 clichés. Pour vous montrer que oui, chers Parisiens, la vie provinciale est toute aussi diverse que le rayon bio de votre Monop' préféré.





La culture en campagne

Je vous vois déjà venir avec vos intros de La Petite Maison dans la Prairie et vos images de gamine en train de traire une vache. Je vous arrête tout de suite, grandir en campagne ne veut pas dire grandir loin de toute civilisation avec des parents arriérés souffrant de consanguinité. De même, pour prendre des clichés plus soft mais qui perdurent, les gamins de la campagne connaissent aussi bien le téléchargement illégal et Asos que vous, chers citadins.

Donc, oui, j'ai grandi à la campagne, dans une ferme, avec des vaches et des lapins, la vraie campagne limousine comme vous l'imaginez. La différence d'avec vous, c'est que, malgré tous les efforts des collectivités locales, l'accès à la bibliothèque, au musée ou au théâtre restait difficile. -50 points en culture pour nous, a priori. Oui parce que, visiblement, la supériorité du parisien ne réside que dans sa capacité à aller d'expo en expo et de parler Kandisky en soirée.
Sauf que voilà, comme je vous l'ai dit, on a quand même internet chez nous. Et des librairies, aussi. Le premier nous sert à bouffer des séries et des films comme jamais, les secondes nous servent à claquer notre argent de poche dans des bouquins voire des magazines, pour voir ce qui se passe dans le monde. Ne vous attendez pas non plus à ce qu'on soit tous connaisseurs de Proust, il faut être honnête : moi, à 14 ans, je claquais mes 20€ occasionnels dans le dernier Journal d'une princesse, pas dans le dernier Goncourt. Et je suis certaine que vous faisiez pareil. Cette vie-là a légèrement changé maintenant que j'habite dans la ville (autour de 7000 habitants) la plus proche, mais là encore, les rayonnages de la bibliothèque locale contiennent plus de best-sellers de Marc Lévy que d'exemplaires de La Nausée. Mes parents étant de gros bosseurs (mon père n'a pas connu de vacances depuis des années) et de gros casaniers, j'ai pas eu droit aux week-ends culturels. La culture classique, ça ne courait pas dans ma famille et je ne leur en veux pas : chacun a ses intérêts, et ça se respecte. Ma mère certes éprouve un grand amour pour les feuilletons télés, il n'empêche que, tous les soirs, elle enchaîne tous les débats politiques télévisés les plus pénibles à suivre, parce qu'elle aime ça.
Evidemment, les premiers moyens d'accès à la culture, ça restait, encore à mon époque, les profs. Ceux qui te filent des conseils de lecture quand ils constatent que t'es branché littérature, ceux qui discutent musique avec toi quand t'as reconnu Bohemian Rhapsody après une séance de flûte. C'est souvent par eux que j'ai connu le théâtre, les musées et d'autres coins de la France par le biais de sorties. Ça ne veut pas dire que, dans mon collège-lycée de campagne, il n'y avait que des incultes : certains de mes copains connaissaient déjà la bibliographie de Molière au collège et d'autres avaient une culture ciné à en faire pâlir tous vos potes fans de Godard. D'autres étaient des musiciens ultra-assidus qui conjuguaient culture musicale populaire et enseignement classique. Au final, c'était exactement le même mélange que partout ailleurs : l'influence classique venait des institutions, et nous, ados, on se faisait notre propre melting pot culturel personnel pour revendiquer notre jeunesse.

Sociologie de la province

La région Limousin aussi, ça peut être l'archétype du centre France. Dans mon petit coin, les usines locales (une imprimerie, une fabrique de madeleines) sont de gros employeurs. L'été, des potes "font les pommes" pour se faire de l'argent. Ça ne veut pas dire que c'est un endroit réservé à ceux qui ne veulent pas réaliser de trop hautes ambitions. Les gens qui gèrent ces fameuses usines fournisseuses d'emplois, ils se sont aussi accomplis localement, et doivent probablement se targuer de leur bonne situation aujourd'hui.

On ne peut pas faire des généralités sur la vie en province. D'abord, vous désignez quoi sous le terme de province ? Lyon, Bordeaux, Lille, ça compte aussi ? Parce que je suis certaine que vous y trouvez aussi bien des actionnaires de LVMH que des smicards qui ont du mal à boucler les fins de mois. Vous voulez parler de la campagne ? Même deal : vous y trouvez aussi bien le petit agriculteur dans sa petite exploitation que le cadre sup' dans sa belle maison, qui part à l'étranger tous les ans pour les vacances. Moi, dans le centre-ville de Limoges (la "grande" ville la plus proche), je croise le même type de personnes que quand je passe à Châtelet. Même vos fameux hipsters/bobos. En beaucoup moins nombreux, certes, mais ils sont là.
Au lycée, vous voyez de tous les types, pas que des gauchos et des cathos. Et les différences entre les "castes" ne se faisaient pas que par l'origine socio-professionnelle des parents. Dans mon groupe de potes, il y en a une dont le père est médecin, tandis que mon père est agriculteur. Les époques ont peut-être changé entre le fossé ENORME qui me sépare de la génération actuellement au lycée (à savoir 3 ans), mais honnêtement, à 16 ans, on ne parlait pas vraiment des professions de nos parents. Les castes, elles, se faisaient par affinités, de ceux qui pratiquaient le même sport à ceux qui avaient le même type d'humour. La mobilisation politique, elle se faisait quand il fallait participer à des manifs. Il n'y avait pas d'engagement dans des partis : chez moi, la politique, c'est une affaire des 55 ans et plus. Ce n'était pas notre qualité de provincial qui nous coupait des "choses de la vie" : c'était notre âge.


Et l'adolescence ?


Je pourrais être d'accord sur un point : les soirées en campagne, c'est dans une maison délaissée à une trentaine d'ados déchaînés qui testent leur limites. C'est pas non plus une Skins Party, et ça ne se compose pas uniquement de moments embarrassants. On pouvait, à 17 ans, tenir des conversations, que ce soit à propos des derniers ragots ou sur nos films préférés. Comme vous lorsque vous êtes assis en terrasse à Beaubourg. Les boîtes étaient une autre opportunité de se retrouver, mais, sans permis ni parents prêts à venir nous chercher en pleine nuit, c'était évidemment plus compliqué.

Les amis, ils se font au lycée et dans les activités extra-scolaires, exactement comme chez la majorité des jeunes d'un peu partout. Sinon, oui, la vie entre ados se résumait à beaucoup traîner ensemble dans les villes les plus proches. C'est, certes, pas facile de se voir sans voiture ni de transport en commun. A ma vieille époque (2006-2012), MSN permettait souvent de renforcer nos liens : des discussions entières s'y étalaient et nous retenaient parfois des nuits entières. Facebook a pris le pas, mais fonctionne moins sur l'esprit "discussions" et plus sur la mise en scène de nos vies par les photos. Nos journées tournaient beaucoup autour du lycée, oui. Certains avaient la chance d'avoir d'autres activités. Nos heures de trous, on les passait ensemble à faire les crétins en salle d'études ou en ville (et quand je dis ville, j'entends notre charmante commune de 7000 âmes).

Paris, vers chez moi, on y pense peu. En vrai, on s'en fout un peu. La ville la plus proche, c'est Limoges. Pour voir plus grand, on pense à Bordeaux et Toulouse. Les profs nous ont rarement présenté les parcours post-bac hors de cette zone. Ce n'est pas un choix de rejet, c'est simplement le fait qu'on sait que des opportunités résident en dehors de la sacro-sainte capitale. Si, personnellement, j'y suis partie, c'est pour un cursus bien précis qui n'existait (et n'existe encore) qu'à Paris. Alors oui, le désir de partir, il est là. Mais l'obsession ne tourne pas autour d'une ville en particulier. On veut juste s'éloigner du carcan familial qui est un peu trop serré quand on a 17-18 ans.
Les opportunités de carrières, elles sont toutes aussi diverses. Les gens partent aux quatre coins de la France pour accomplir leurs ambitions, et pas seulement pour réussir un "concours de secrétaire administratif". Plein de fifous finissent très honorablement en droit ou en médecine, à Limoges ou ailleurs. Peut-être même que, parmi vos équipes de graphistes / chargés de com' hyper branchés, il y a des provinciaux. Demandez-leur s'ils emploient l'expression "poche" ou "chocolatine".

Au final, j'ai pas vécu une adolescence totalement vide de sens parce qu'elle s'est déroulée en province. Moi aussi j'avais la tête pleine de noms de groupes de musique, de phrases de bouquins et de soucis d'ados. J'portais des Converse comme vous portez des Stan Smith. Mes potes de "province", je leur parle toujours. Et les gens que je fréquente à Paris, je leur parle sans arrêt de la vie moins chère hors d’Île-de-France et de l'amabilité sans faille des gens de chez moi.