Féminisme : entre gros mot et revendication légitime

S'il y a bien un sujet sur lequel on se disputera à table, après la politique et la religion, c'est bien les problèmes de société. C'est simple, tout le monde a une opinion sur le dernier problème mis en avant dans les médias. Et une anecdote vécue ou racontée pour appuyer cette opinion. Parmi les sujets qui brûlent, un qui semble être récurrent depuis de nombreuses années, le féminisme.


Une perception du mouvement biaisée

Quand on dit féminisme, on a très souvent, et immédiatement, cette image en tête de filles hystériques en train d'hurler dans la rue pour revendiquer leurs droits. Ou mieux encore, l'image d'une lesbienne sans "féminité" qui voudrait asseoir son pouvoir et détruire la gent masculine au passage. Il est peut-être utile de préciser qu'on a tout faux. C'est simple, quand on était petit et qu'on ne comprenait pas un concept, on consultait un dictionnaire (et vous le faites encore avec Wikipédia, ne mentez pas). Le CNRTL, excellente référence en matière de linguistique :

Mouvement social qui a pour objet l'émancipation de la femme, l'extension de ses droits en vue d'égaliser son statut avec celui de l'homme, en particulier dans le domaine juridique, politique, économique; doctrine, idéologie correspondante.
Si on reparle de féminisme ces derniers temps, c'est en réaction à quelques phénomènes sur lesquels on a mis l'accent. Le harcèlement de rue, par exemple, qui devient si banal que les remarques "Eh mademoiselle t'es bonne" peuvent être utilisées de manière humoristique. Cette problématique a d'ailleurs été soulevée via de nombreux blogs : Projet Crocodiles, qui a publié, parmi ses planches, une illustration détaillée sur la manière de réagir au harcèlement de rue, ou encore Jack Parker, blogueuse et ancienne rédactrice chez Madmoizelle, qui raconte son expérience du harcèlement et rapporte aussi les réactions - sidérantes- face à son récit. Tumblr, plateforme parfaite pour propager des idées, se fait aussi le moyen idéal pour exprimer ses idées sur ce que les blogueurs appellent "social justice". Depuis quelques temps, de nombreux débats et concepts se sont développés via la plateforme : en ce qui concerne le féminisme, on parle de "rape culture" (culture du viol) et on redéfinit les notions de consentement, de viol et de harcèlement.

Des réactions inquiétantes

Le soulèvement de ces problèmes n'a pas entraîné que des réactions positives : on s'attend bien sûr aux réactionnaires machistes sur les bords qui soutiennent que la place de la femme est dans la cuisine. On s'attend cependant moins aux réactions de femmes qui rejettent le féminisme, et ce pour des millions de raisons. Il y a tout d'abord celles qui, malheureusement, n'ont pas la bonne définition/image du mouvement, et qui affirment être contre le féminisme alors que les valeurs qu'elles partagent sont exactement celles des féministes (citations du Tumblr Women against Feminism):

I don't need feminism because I was raised to be an INDEPENDENT woman and not a victim of anything & BECAUSE I LOVE MY MAN !
Le féminisme est justement là pour renforcer le droit à l'indépendance des femmes qui n'en bénéficient pas. Ce mouvement ne consiste pas en la victimisation constante de la femme. Quant à l'argument de "J'aime mon mec", encore une fois, rien ne l'interdit.
I don't need feminism because I don't have to push men down to feel equal to them.
Les féministes non plus. Et, surprise, il se peut même que des hommes adhèrent à l'idéologie féministe.

Il y a aussi celles qui affirment que ce mouvement est passé, que l'évolution est terminée et que travailler à l'égalité homme-femme n'est plus nécessaire.

I don't need feminism because : I already have the same equal rights as men, I don't need to put my husband down in order to put myself up. Because fighting for women superiority is not fighting for equality.

Cette manière de penser a deux travers : la première est qu'elle est inexacte : des inégalités persistent entre les hommes et les femmes, même dans les pays occidentaux et économiquement développés. Différences de salaire, de perception et de traitement dans les médias ou encore d'accès à la hiérarchie, on peut citer des millions de problèmes. Il y a aussi un autre problème : cet argument est souvent émis par une jeune femme d'un pays occidental : elle peut écrire, lire et a probablement une situation financière et personnelle correcte. Ce n'est pas le cas de tout le monde, et encore moins de femmes dans d'autres pays qui se voient privées de leurs droits les plus basiques - pour des questions de religion, de culture de pays ou autres. (Je généralise mais vous avez tous un exemple en tête.) Énoncer cet argument, c'est aussi volontairement ignorer la situation d'autres jeunes femmes qui elles, ont besoin plus que tout du féminisme pour voir leur situation - et leur perception dans leur propre environnement - évoluer. Énoncer cet argument, c'est aussi ignorer l'histoire même du féminisme et les progrès que ce mouvement a permis : du droit de vote pour les femmes ou à l'avortement (qui sont, malheureusement, plutôt récents lorsqu'on observe leur mise en place sur l'échelle de l'Histoire).

Un travail en cours

Si ces réactions semblent inquiétantes, le travail d'information sur le féminisme semble se poursuivre. Il suffit de noter le ton anxieux pris lorsque l'on traite de ce fameux Tumblr against feminism. On peut noter le travail réalisé par un collectif qui a décidé de baptiser une zone anti relous à Paris pour sensibiliser le public au harcèlement de rue. On peut parler de ces personnalités qui soutiennent le mouvement féministe - et même de celles qui reviennent sur leurs propos anti-féministes, une fois qu'elles se sont vues enseigner sa véritable définition.
A noter encore, les réactions face aux toutes récentes publications de photos volées de stars - photos qui en dévoilent plus qu'elles ne le voudraient : au lieu d'utiliser l'argument classique "fallait pas prendre de photos si tu voulais pas que ça finisse sur internet" -un peu trop facile-, on commence à sensibiliser les personnes dénonçant cette attitude en pointant du doigt celles qui divulguent ce type de photos. Parce que, dans le fond, utiliser cet argument revient à dire "fallait pas acheter une carte de crédit si vous ne vouliez pas vous la faire voler". Pointer du doigt ce type d'actions montre encore la différence de perception lorsque la photo est celle d'une actrice ("oh mon dieu c'est une -insérer une insulte liée à sa dépravation-") et lorsque c'est celle d'un acteur ("on t'aime quand même"). 
Un travail en cours certes, mais qui n'est en qu'à ses tous premiers pas - face à des millions de conceptions erronées et des siècles d'endoctrinement.