Dead.


La mort qui paraît si douce... C'était la seule solution envisageable. En réalité, j'y pensais souvent malgré moi. Mais je ne m'y résolvais pas. Peut-être trop dur, ou trop facile. Trop dur parce qu'il faut quitter la vie, et tous ces bons moments, trop dur parce que ça veut dire faire du mal à ceux qui tiennent à nous. Trop facile car c'est tomber dans la facilité de ne pas oser affronter ses peurs et ce dont on n'a pas envie. Mais la mort me paraît douce comparée à cette vie. Est-ce au moins une vie ? Tous les jours je change. Tous les jours je ne suis pas la même personne. Seule une personne me connaît. Lui. Nathan, atteint du même trouble que moi, des mêmes peurs. Nous avons aussi les mêmes rêves et les mêmes envies. Nous sommes les mêmes, les semblables, deux êtres similaires qui peuvent pourtant paraître si différents...

J'ai toujours été fascinée par la mort. Elle, représentée si souvent dans les films, les livres, a la télévision. On la voit partout, c'est la plus grande crainte des gens, la chose la plus redoutée. La mort peut être si belle, mais peut être aussi tragique. Il y en a qui partent trop tôt, d'autres qui auraient préféré partir tôt, et il y en a qui ne veulent jamais s'en aller. Partir... Irais-je au paradis ? En enfer ? Existent-ils seulement ? Pour le voir, il fallait que je meure. Ma curiosité défiait ma raison.

Après avoir fait cet énorme monologue, je me rendis compte que le bus était à mon arrêt, et descendis calmement. Nathan était là, à m'attendre. Les pensées chargées, je continuais à marcher silencieusement, tout comme mon ami à mes côtés. Parler pour ne rien dire nous agaçait particulièrement. Nous prîmes la rue à droite, bordée de maisons froides. Sa voiture y stationnait. Nous y entrâmes tous les deux afin de partir à destination. Le plan était en marche. Je me rappelai ainsi la lettre écrite juste avant mon départ. Ce n'était pas exactement une lettre, juste un poème. Mon favori, le même que celui de Nathan. Je me souvins alors qu'elle trônait sur la table. Maman la verrait sûrement dès son retour du travail. Savait-elle que ce poème était mon préféré ?

"Voici le plus grand secret que personne ne sait, -voici la racine de la racine, le bourgeon du bourgeon et le ciel du ciel d'un arbre nommé vie qui pousse bien plus haut que l'âme ne peut espérer ou l'esprit cacher- ..."

La nuit tombait. Nathan alluma les phares. Je vis ainsi le panneau, Cap Canaille. L'endroit le plus merveilleux de France. La voiture stoppa net. Nous sortîmes tous les deux et nous dirigeâmes vers un coin que nous connaissions bien, parsemé de hautes herbes. Nos mains se serraient fort, mon coeur battait la chamade. Nous étions au bord de la falaise. "Ne regardes pas en bas, ma chérie !" me rappelait souvent mon père lorsque je n'étais qu'une enfant.

Nathan se retourna et plongea son regard dans le mien. Toujours un profond silence. Il dit alors :

"Je ne suis jamais sans toi (où que j'aille, tu vas ma chère et tout ce que je suis le seul à faire est tien, ma chérie)
Je ne crains point le destin (car tu es mon destin, ma douce)
Je ne veux aucun monde (car ma belle tu es mon monde, mon vrai)
et tu es tout ce que la lune a toujours voulu dire et tout ce que le soleil chantera."


Je me retournai, face à la mer. J'observai le coucher du soleil, les vagues se fracassant contre les rochers et l'écume se dissiper à leur gré. Je connaissais mon destin. Je savais ce qui m'arriverait. J'en étais capable. Ma main devenait moite mais serrait toujours aussi fort celle de Nathan. Il regarda sa montre. 20 heures. Impulsions simultanées de nos pieds. Je me sentais ivre de liberté, grisée par la vitesse. Ainsi nous mourûmes le 15 Juin 2000, à exactement 20 heures, 20 ans précisément après notre naissance.
"Je garde ton coeur, il est dans mon coeur."
Signé : Océane.

Pgm.
Le poème fut écrit par E.E Cummings.