Portrait d'une cité pittoresque.


[Fiction]
    "Il était une fois"... Non, pas de "il était une fois". Parce qu'il introduit le fait que l'histoire sera belle et tragique, mais aussi intéressante et bouleversante. Cette cité n'est en aucun cas bouleversante. Dans les contrées verdâtres d'une vieille et pourtant belle région, elle se tenait, droite et petite, fièrement parmi les autres villes plus grandes et plus prétentieuses. Non pas que cette cité, non, ce village, soit modeste. En effet, ses habitants savent bien de quoi ils sont entourés, et sont bien orgueilleux de savoir qu'ils ont "les pieds sur terre", comme ils disent. 
    -M'enfin, grommelait le vieux Basile, nous on a pas la grosse tête. V'là t'y pas qu'la racaille a envahi les grandes villes, nous ils nous toucheront pas. Ou ils vont tâter d'mon petit fusil d'chasseur ! J'ai dit petit, moi ? Nous, on chasse, ici, on vaut mieux qu'les p'tits jeunots et leurs p'tits baladeurs et leurs ordinateurs. Moi j'te les pèterais à coups de fusils, moi !, assénait-il.
    Vous l'aurez compris, "les pieds sur terre" se traduit par un sacré caractère, chez les habitants. Basile était une sorte de concierge à un degré supérieur. Oui, confiez-lui votre secret le plus profond et la moitié de la commune, de la vieille tante Josie qui ne sort jamais au petit Bertrand qui passe sa vie au comptoir d'à côté, le saura. Tout débraillé, il se plaisait à justifier ses blessures par des histoires toutes plus farfelues les unes que les autres, toutes différentes. L'excuse la plus entendue restait celle de la Première Guerre mondiale à laquelle il avait participé. Et bien sûr, les habitants y croyaient. Ce qu'il se gardait bien de dire, c'est qu'il était né en 1936. 
    Basile était voisin d'Eugénie, mère modèle et innocente, dont les enfants sont la seule et unique fierté d'une vie plus que modeste. Jamais elle ne se plaignait, et ce malgré son peu de réussite dans la vie active. Douce et patiente, elle attirait la curiosité et la méfiance des autres, trop soupçonneux pour ne pas se rendre compte de sa profonde gentillesse et son indulgence inébranlables.  Jamais elle ne se plaignait des multiples remontrances de sa chère sœur, Fanchon. 
    Dans son genre, Fanchon était la plus remarquable des pestes. Âgée d'environ trente ans, elle avait un enfant à charge pour qui elle était prête à tout. Non ce n'est pas la mère poule qui aime et protège son chéri, c'est la mère dérangée qui tuerait celui qui oserait ne pas donner son bonbon à son petiot. Contrariez l'enfant gâté et Fanchon attaquera.  Sa réputation dans le village était telle que même les habitants regardaient aux alentours lorsqu'ils osaient prononcer son nom. Effrayante de son physique, elle l'était encore plus moralement lorsqu'elle s'adressait à sa pauvre sœur, impuissante à ses attaques. 
    Le fils de Fanchon, nommé Clovis (oui, elle vouait un énorme culte incompréhensible à Clovis Cornillac, allez savoir) souffrait presque de cet étouffement. Mais cela lui procurait un sentiment de puissance dont il se satisfaisait assez pour ne faire aucun commentaire. Faiblard de nature, il connaissait le caractère de sa mère et pensait bénéficier d'une sorte de pouvoir envers les autres. Bien sûr, il y avait quelques intrépides pour le combattre, mais ces mêmes intrépides et leurs plans étaient contrecarrés à la minute ou ils croisaient le regard de la mégère.
    Parmi ces intrépides se tenait la plus coriace, Amelia. Elle n'avait pas lâché la grappe et avait bien tenté d'affirmer ses convictions. Cela lui a d'ailleurs causé une mauvaise réputation dans la commune. Bizarre, me direz-vous, sachant que Fanchon et Clovis ne sont pas très appréciés. Apprenez que les habitants n'aiment pas les gens qui dérangent leurs petites habitudes et vies, que ce soit pour une bonne ou mauvaise cause. Amelia se souciait peu de ceux-ci et préparait toujours des plans plus farfelus que les autres pour continuer dans sa quête de la vérité. Convaincue qu'elle parviendrait un jour à ses fins, elle savait bien qu'il y avait d'autres petits concurrents. Et le mot "petit" apparaissait parfois comme un euphémisme. 
    En effet, une autre enfant gâtée posait son règne à quelques pas de là. Celle-ci, non pas qu'elle ait une mère aussi protectrice que Fanchon, avait un caractère plus que trempé. Coline tyrannisait a peu près tous les autres élèves de son école. Elle le faisait si bien que ses victimes lors de bagarres pouvaient presque compter le nombre de cheveux qu'il avaient perdus. Amelia restait la seule à l'avoir affrontée et avoir "gagné", en quelque sorte. Coline partait du principe que les autres étaient simplement là pour elle, et n'aimait pas se faire contredire. Osez-lui dire que son t-shirt ou son dernier petit achat est moche et vous subirez la tornade fatale de mademoiselle.
    L'école était son terrain de combat favori. Le directeur ne voyait pourtant rien. Ou en tout cas, se gardait bien de le montrer.  Sur ce terrain, les petits voyaient leurs bonbons réduits en miettes, les plus grands voyaient leur console se faire désintégrer. Ne pas obéir aux volontés de mademoiselle coûtait cher. Personne ne disait rien, les habitants laissaient faire tant que ça ne les concernait pas en eux-mêmes. 
    Et je peux vous affirmer que l'école n'était qu'une toute petite partie de l'ambiance du village. Et en apparence, il ne vous apparaît pas aussi dangereux. Un beau château médiéval s'élevait sur la colline, un havre de paix en temps de guerre. Plus bas se dressaient les toujours aussi "modestes" maisonnettes, imbriquées les unes sur les autres, cherchant le plus possible à démontrer sa valeur. Village joli et calme, personne ne savait, ou plutôt personne ne voulait avouer, que les apparences, et surtout ici, étaient particulièrement hypocrites. Ces petits portraits typés vous donnent une petite perspective de la mentalité des habitants. Petite, la perspective.
   "Dans les contrées verdâtres d'une vieille et pourtant belle région, elle se tenait, droite et petite, fièrement parmi les autres villes plus grandes et plus prétentieuses." Oh que oui. Le point de vue des habitants. Leur pensée. Vous ai-je dit qu'il y avait des critiques qui ne demeurent "critique" que le temps de n'avoir pas réfléchi ? Non, c'était Paul Valéry. 

Mon portrait est totalement humoristique. Inspiré de faits réels ? Peut-être. Ou pas. A vous de voir. A croire que je peux être méchante quand je veux. Ou pas. M'enfin, si vous avez ri, c'est mon principal but. Parmi d'autres. :D
 

Allez, j'arrête de vous tourmenter,
Pgm.